PIERRE GINER
OU L’ART DE
PÉRÉGRINER*
«Commerce. Cette société internet met aux enchères les corps non souhaités par leurs occupants naturels» «Redistribution. Les lâchers de billets par avion au-dessus de Neuilly seront renouvelés. Le ministre du Budget se félicite de cette rénovation des modalités de subvention publique plus festive et moins administrative.»
Singeant les fils d’info des sites d’actu, ces haïkus qui défilent sur la page d’accueil de Poptronics sont la discrète contribution que Pierre Giner a imaginée pour le lancement du site, auquel il a participé de très près (avec Anncik Rivoire, Elisabeth Leibovici, Christophe Jacquet, David Guez).
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* Anagramme de "Pierre Giner"
Artiste protéiforme, pionnier des nouveaux médias (avec «Ça dure un peu» en 1998, la cigarette digitale qui se consume d’un clic, un «classique» du web et de l’art-réseau), on peine à donner un âge à ce zébulon canaille, verbe haut et rire communicatif, les poches toujours pleines de projets qui s’entrechoquent. Du simulateur de vol détourné «Le Bruit des avions» (2002) au jeu de voitures déviant «Keep the Distance» (2002-2007), en passant par la dérive urbaine saisie sur téléphone por- table («Elsewhere Japan», 2003), Pierre Giner est partout chez lui depuis vingt ans, à l’affût des nouvelles technologies (vidéo, téléphonie mobile, site web, jeu vidéo, tablette numérique...) qu’il hybride pour mieux les interroger.
Car Pierre se pose beaucoup de questions sur ses images, la façon de les diffuser, d’organiser leurs collisions ou leur collu- sion. Au point d’agacer parfois ses interlocuteurs, qui ne comprennent pas toujours que pour lui, un projet (se) vit jusqu’à la dernière minute. D’où des changements permanents, des adaptations, des réécri- tures et des prolongements. Pierre est un artiste de flux, artiste à l’affût.
De Tokyo à Montréal, de Séoul à Budapest, de Barcelone à Shanghai, ce globe-trotter impénitent ne cesse de compléter et d’aug- menter ses différents travaux. Il (re)passe par le livre et la vidéo en poursuivant sa série «Elsewhere», requalifie les collections du Cnap avec «Cnap n», crée des applications pour smartphones en réalité augmentée («Fantastic Society», 2012) ou invente mille formes qui ne demandent qu’à sortir des dossiers de ses ordinateurs.
Il a vécu au Japon, s’est posé à Paris, mais passe le plus clair de son temps en Chine et en Corée, multipliant les rencontres («Ce qui me plaît chez les autres, c’est qu’à partir d’un même énoncé ils fassent autre chose») et les recherches, bâtissant une œuvre ouverte à tous les vents numériques dans laquelle ce grand lecteur d’Adorno n’oublie jamais de lier les dimensions populaire et intellectuelle. «Je ne crois pas que l’artiste soit supérieur à qui que ce soit, assure-t-il. Un artiste, c’est quelqu’un qui se permettrait de vivre à sa manière, qu’il tienne un bistrot ou soit écrivain. Je suis intéressé par tous les savoir-faire : celui du bricoleur comme celui de l’industriel ou du technicien. Cette question des rôles dans la société n’a aucune importance. Je défends une pratique oulipienne de la société et de la technique : redistribuer, reproduire, pour faire autre chose.»
Idance / exposition try again, la casa encendida, madrid, 2008
Pour preuve, son outil de VJing «I dance» (2007), un dancefloor virtuel mutant, sorte de bal populaire du samedi soir augmenté, qu’il promène sur les places et dans les centres d’art du monde entier (ou pour l’an- niversaire de la Géode) accompagné des meilleurs DJs. Une attention au public, à la culture dite populaire, à l’inclusion de son travail dans la vie, qu’il a cultivées auprès de celui qu’il appelle son «père» (et qui l’a fait son «fils adoptif»), l’architecte Patrick Bouchain.
Aujourd’hui connu et reconnu, il se définit comme «un tricoteur ou un passeur», reprenant le beau mot de Serge Daney. Artiste mais aussi curateur, scénographe, directeur artistique, ses multiples casquettes lui font rencontrer des mondes parallèles qu’il n’a de cesse de faire dialoguer. «Ça
m’intéresse de redistribuer des choses avec un certain degré de fantaisie que je me permettrais ou que je permettrais. Quand je travaille avec des entreprises à partir de leurs technologies, avec des stylistes à partir de leurs créations, j’essaie simple- ment de contribuer à créer un objet tiers, nouveau, qui serait le fruit de cette collabo- ration. J’essaie d’organiser des courants et de rester le spectateur du résultat. L’objet final est un objet dont nous avons été ca- pables. Ce n’est pas forcément l’objet que je souhaitais : c’est ce qui apparaît si on se réunit.»
Vaste rétrospective de l'histoire du jeu vidéo, MuseoGames, présentée jusqu'au 7 novembre 2010 au Musée des arts et métiers (Paris), invite le public à redécouvrir et à jouer avec les consoles qui ont transformé peu à peu le jeu vidéo en un véritable phénomène de société.
UniversSciences, 2010
Co-commissaire de «Museogames» en 2010, la première exposition jouable dans une institution parisienne consacrée au jeu vidéo (il avait d’ailleurs associé Poptronics à l’aventure, il est depuis 2012 le directeur artistique de l’Imaginarium à Tourcoing, un «atelier des industries créatives» où il convie artistes bidouilleurs, bricodeurs, créateurs de jeux vidéo indépendants, curateurs, acteurs de l’économie colla- borative... Des personnalités, artistes ou pas, qui sortent du cadre, furètent et ques- tionnent la société.
Au carrefour des pratiques et des entités, Pierre peut aussi bien travailler avec des entreprises (à la Plaine Images de l’Imaginarium qui accueille des start-up dédiées aux nouvelles images), des poètes (voir sa collaboration ancienne avec Frank Smith, dont la lecture augmentée de «Gaza, plomb durci» a été récemment censurée par la Fondation Cartier) ou des institu- tions (le Centre national des arts plas- tiques, l’Atelier de création radiophonique de France Culture pour la Nuit Blanche 2009). Avec un enthousiasme communi- catif, ce vrai gentil mais grand têtu met en acte cette devise d’un de ses auteurs favoris, Philip K. Dick : «Si ce monde vous déplaît, imaginez-en d’autres.»
Matthieu Recarte
http://www.poptronics.fr/Pierre-Giner-ou-l-art-de